[Curators x Animal63] Manu Barron: Je pense que pour qu’une carrière d’artiste dure, il faut que ça le rende heureux.

Animal63 est né en 2017 du rapprochement entre Believe et Savoir Faire, éditeur et manager d’artistes à dimension internationale. Sa mission première est d’instaurer une «maison de musique» avec la philosophie d'un label, contemporaine, se laissant la liberté de pouvoir signer tous types d’artistes, pour imaginer un champ d'action artistique de tous horizons, pour tout territoire et de défendre un positionnement créatif sans concession. De la musique pour les passionnés, les curieux, … qui donne grand soin à l’image récompensée par de nombreux prix. Parmi son répertoire en pleine croissance des artistes à renommée international The Blaze, les talents Johan Papaconstantino, Para One, Blu Samu, Canblaster, Gabriel Auguste, Thomas de Pourquery, le producteur Renaud Letang, Love Supreme, des musiciens reconnus comme Yodelice. 

Découvrez ici les 63 titres qui inspirent Manu Barron et son équipe au quotidien + des invitations pour 3 concerts des artistes du label sur l’app Curators.

 

Manu Barron par Marilyn Clark

Dans quelles conditions avez-vous fondé Animal 63 chez Believe ? 

Cela faisait un moment qu’on parlait avec Romain Vivien et Henri Jamet. Nous avions une envie profonde de bosser sur un nouveau projet. Mais au début je n’avais pas envie de remonter une machine à gaz, je sortais de pas mal d’histoires fortes. Donc quand Believe m’a sollicité pour monter un label, j’avais trois requêtes, trois conditions sine qua non. Tout d’abord, je souhaitais monter une maison de disques plutôt qu’un label, ce qui implique une liberté artistique pour pouvoir signer tout type d’artiste. Secundo, avoir des moyens de travail à long terme pour pouvoir développer des projets aller au-delà d’un single ou d’un album, ce qui est un luxe énorme en ce moment dans notre industrie. Et le dernier point sur lequel j’ai insisté... Là, il faut rappeler que chez Savoir Faire, on a une spécificité historique, qui est de développer des artistes français à l’international, c’est une de nos fondations. Donc j’ai dit à Romain Vivien et Henri Jamet de Believe: “Je vais vous parler d’un truc, vous risquez de quitter la table: je veux le lead sur les choix des partenaires à l’international. Je veux pouvoir trouver le meilleur partenaire pour chaque projet sur chaque territoire majeur.” Ainsi, je peux bosser avec un petit label indépendant en Australie, une major aux US ou un gros label en Allemagne... Et ça c’est complexe, car tu peux te retrouver à bosser avec leurs concurrents étrangers! Mais ils ont compris mon propos, et il faut signaler que c’est très rare dans ce business du disque ou il est plus courant que les gros labels préfèrent ne pas s’engager sur un territoire plutôt que de le partager avec un autre label qu’ils considèrent comme étant un concurrent direct. Cela m’a beaucoup rassuré, et ils continuent chaque jour de me prouver qu’ils ont une vision contemporaine de la musique et m’apportent un vrai soutien dans ma liberté de travail et de signature qui doit être souvent déroutante.

 

En quoi Animal 63 vient compléter le travail de Savoir Faire ? 

Savoir Faire n’est ni un label, ni une maison de disque, c’est une société de direction artistique et stratégique qui se concentre sur le management d’artistes et l'édition. Animal63 est donc un outil génial qui permet d’avoir de plus grands rêves, de signer des artistes plus jeunes, et de prendre le temps de les développer - y compris à l’international. Et moi j’ai une passion justement, c’est de bosser des artistes très en amont. Quand j’ai rencontré les Blaze, il y en a un qui était en train de finir une école de cinéma, et l’autre qui était dans la scène dub indé, donc assez loin de là ou l’on en est aujourd’hui avec eux, même si le cinéma et le dub reste deux influences majeures de leur identité artistique.

 

A tous ceux qui pensent que créer une maison de disque c’est absurde, tu leur réponds quoi ? 

Je ne vais pas mentir, ce n’est pas simple. Il n’y a pas une semaine ou je ne me dis pas « mais c’est débile ton truc, tout le monde s’en fout ». C'est un combat de tous les jours, c'est une utopie aussi, et c'est certainement romantique à certains moments de continuer à croire en ce métier. Mais il y a aussi quelque chose de politique. C’est encore le seul endroit où j’ai le sentiment , certainement désuet, de pour voir apporter une petite brique à la construction d’un commun en défendant la place des arts populaires. 

Je pense encore que les chansons peuvent rendre les gens heureux, qu'un track peut vraiment changer des choses, pas une vie, mais un moment, que ça a du sens ! Comme faire une baguette, ça a du sens ! Je me sens très artisan. C'est ça que j'ai envie de continuer à faire. 

 

Une partie de la discographie de Manu Barron

Quelle relation tu entretiens avec l’image ? 

Le démarrage public d'un projet et sa mise en orbite passent par l’image, par la relation entre la musique et l’image. C’est l’incarnation du projet, et pour moi elle est très importante, ça me passionne. Mais c’est un jeu de plus en plus complexe car on est inondés d’image, il faut donc être juste et précis. Et puis ça ne suffit pas, il faut qu’ensuite un travail de mise en relation avec le public soit fait. Il faut transformer ces idées, faire savoir, créer la relation entre l’artiste, son œuvre et le public. J’ai une formation d’arts appliqués et j’étais DA image dès 18 ans. A cette époque je pense que j'ai acheté plus de belles pochettes de musique de merde que de bon disques avec des pochettes de merde, ça c’est sur ! J’ai heureusement changé depuis longtemps.

Je ne veux pas faire de l’image pour de l’image, le beau pour le beau c’est dangereux. C’est une pensée fasciste.  Une belle image sans sens, qui ne crée pas de relation avec l’œuvre musicale et l’artiste, c’est l'acceptation qu'on est juste là pour vendre de la m***. C’est pas trop mon truc de vendre de la m***. 

 

Pourquoi elle est de plus en plus compliquée cette relation à l’image, à ton avis ? 

Il y a un flot, un torrent,  on est matraqués! Je ne me rappelle plus des chiffres exactement, mais je crois que 50 fois plus d'images sont reçues par une personne aujourd'hui par rapport à il y a 15 ans, donc c’est dur d’exister là-dedans et demander 3 minutes de temps aux gens pour regarder un clip. 

 

Comment tu t’y retrouves du coup ? 

Là où tu fais la différence c’est quand tu ne te noies pas dans la masse et que tu établis un dialogue avec la musique, parfois très frontal, d’autres fois entre guillemets. Ou juste un décorum, parfois c'est ne rien faire ou très peu. Le problème avec l’image, surtout avec les clips : c'est quelque chose qui est extrêmement dur à financer seul. Personne n’a les moyens de faire un vrai clip, de se payer du cinéma, donc il faut trouver des partenaires, il faut emmener des gens avec toi. C'est super excitant mais tu es dépendant, et ça me prend beaucoup de temps depuis quelques années. 

 

Comment ta façon de découvrir des jeunes talents a évolué avec le temps? 

J'ai une façon de travailler et de découvrir les artistes qui part du principe que... ce qui sort, c’est ma vie. Ça vient donc de mes rencontres et de mes voyages. Je ne vais pas chercher les jeunes talents à proprement parler. J'ai au moins l'avantage de l'âge, il n’y a pas que des emmerdes à avoir 50 ans, je découvre des projets grâce à mon expérience et mon réseau - même si je déteste ce terme. L’essentiel des artistes que je signe sont souvent des gens que je rencontre sur d’autres projets ou via d’autres artistes, graphistes ou cinéastes avec qui je travaille. Gesaffelstein c’est Louis Roge (Brodinski) qui me l’a présenté. On l’a invité a une soirée du label qu’on faisait dans un de mes clubs, on s’est rencontré au diner et on a décidé de se revoir la semaine suivante. C’est souvent comme ça.

 

Quelles sont les principales qualités pour un artiste pour percer aujourd’hui? 

Il n’y a bien sur pas de recette magique, chaque projet a ses spécificités, ses forces et ses faiblesses. C’est un peu réducteur mais il y a quand même deux grands types de prétendants aujourd’hui. D’un coté des personnes qui sont très business, très chef d’entreprise. Et d’un autre coté des artistes très poètes qui n’ont souvent aucune vision claire sur le business et le métier. Je suis plus à l’aise avec les poètes car je pourrais toujours leur trouver un comptable, les aider à monter leur boite et à faire de bons choix. Par contre je ne peux pas amener la poésie et la vision, l’envie profonde de s’exprimer qui est vitale chez un artiste. Ce truc d’urgence, indéfectible, immuable dont on a besoin pour pouvoir accompagner et faire vivre un projet. Puis il y a un dernier truc qui est vraiment important, le plus important certainement : il faut rire, il faut se marrer, que cela rende heureux, en tous cas être capable de faire émerger ces moments là. Je pense vraiment que pour qu’une carrière d’artiste dure, il faut que ça le rende heureux.

 

Quelles questions te poses-tu avant de signer un artiste ? 

Quand tu signes quelqu’un, tu vas passer pas mal de temps avec cette personne, surtout dans des projets comme les nôtres. Le lien entre le privé et le professionnel est fort, un peu comme dans une famille, donc je fais attention avec qui je vais passer du temps. Il faut que la relation soit solide et non pas basée sur la séduction. On a un métier qui peut être assez ingrat si on ne fait pas attention, et là j’ai passé l’âge de subir des déceptions humaines régulières. Il arrive d’avoir envie d’arrêter une collaboration, mais on peut faire ça bien, sans abimer l’humain. Et quitte à me répéter, la première chose à prendre en considération c'est la poésie. Est-ce que la personne a en elle un truc fort, profond, un désir de dire des choses, d'écrire, de le partager, quitte à les aider ou faire mieux sur le style, le goût & la direction artistique. Enfin, je ne suis plus capable de travailler avec des gens qui n'ont pas un minimum de paix intérieure.

D’une maniere générale j’aime aller là où on ne m’attend pas. Être le roi de la hype, ça m'a toujours cassé les pieds. J’aime la culture populaire quand elle reste populaire.

 
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